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La liberté politique

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Modifié : 24/01/2010 à 14h32

Pour beaucoup d'hommes, l'Etat semble être l'obstacle par excellence à la liberté individuelle. Le quotidien nous donne de nombreux exemples de ces obstacles: limitation de vitesse sur la route, respect de la propriété du voisin, obligation de payer ses impôts, etc. Autant de lois qui semblent entraver ce que l'opinion commune appelle « la liberté ». De même, l'Histoire offre de nombreux exemples de tyrannies et totalitarismes qui ont confisqué la liberté politique de leurs citoyens. Pourtant, la liberté politique peut-elle se concevoir sans l'existence d'un Etat pour la protéger ? L'institution étatique n'aurait-elle pas pour rôle de la défendre plutôt que de l'opprimer ?


L'Etat, garant des libertés individuelles

Rousseau et le contrat social

La théorie du contrat social est liée à une vision artificialiste de la société: la vie en société ne serait pas une nécessité naturelle mais résulterait d'une libre volonté, au contraire de ce qu'affirmait Aristote. Les hommes se seraient associés en société suite à une décision prise en commun. Le « contrat social », résultant de cette décision, détermine les règles de la vie en communauté. L'idée de ce pacte social est reliée à celle d'un hypothétique « état de nature », contraire de l'état civil, où vivait l'Homme avant toute organisation politique.
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), dans Du contrat social, affirme que c'est pour les libertés que les hommes ont fait naître la loi civile. Par conséquent, l'Etat doit être le garant de la liberté individuelle de ses membres, aucune forme d'oppression ni de servitude n'étant légitime. Pour Rousseau, ce n'est ni Dieu, ni le roi qui est souverain, c'est le peuple, érigé en « Volonté générale », concept défini comme « somme des volontés particulières ». Ainsi, si le peuple est souverain à travers la volonté générale, la liberté naturelle de l'Homme est garantie. En obéissant à la loi, le citoyen assure sa liberté: « l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté ».

La loi, condition de notre liberté

La colombe légère dans son libre vol, écrit Kant (1724-1804), imagine qu'elle volerait bien plus vite dans le vide parce qu'elle subit la résistance de l'air. Mais elle ignore que sans air, elle ne volerait pas du tout: ce qui lui apparaît comme un obstacle est en réalité une condition de son vol. De même, beaucoup d'hommes imaginent qu'ils seraient plus libres sans les lois imposées par l'Etat: impôts, Code de la route, etc. Ils se montrent par là aussi ignorants que la colombe de Kant, car sans ces contraintes, ils ne pourraient plus du tout exercer leur liberté. Ce qui paraît être une entrave à notre liberté est en réalité une condition d'exercice de nos actions.

Citoyenneté et loi civile

Dans les Etats démocratiques modernes, tout membre de l'Etat dispose de la citoyenneté, qui se définit à partir de la liberté civile (à distinguer de la liberté naturelle, indépendante des lois). La privation des droits civiques n'a lieu que dans le cas d'une infraction grave à la loi. La liberté civile comprend le respect de l'autre (je ne peux pas empiéter sur la liberté d'autrui) et la volonté du bien de tous. C'est précisément la loi civile qui fixe les limites à ne pas franchir afin de ne pas nuire à la liberté d'autrui. Cette loi civile n'implique pas la soumission du citoyen mais son obéissance: comme l'écrit Rousseau, « un peuple obéit, mais il ne sert pas; il a des chefs, mais pas de maîtres ».


La liberté confisquée

Les formes d'oppression

Un pouvoir oppressif est un pouvoir qui n'émane pas de la volonté générale. La liberté du peuple est niée, et le tyran s'impose par la force.
On distingue plusieurs formes d'oppression:

A la différence du tyran, le despote s'inscrit généralement dans une continuité héréditaire et ancienne (parfois avec des origines mythiques), qui lui procure un semblant de légitimité. Le tyran en revanche impose son pouvoir par l'illégalité, la ruse ou la violence, en faisant assassiner le roi légitime par exemple. Si la plupart des tyrannies sont brèves, certaines peuvent s'installer dans la durée et se transformer en despotisme, en acquérant une certaine légitimité qui leur faisait jusqu'alors défaut.

Quant au totalitarisme, forme d'oppression moderne, c'est un régime qui s'installe au mépris des plus élémentaires droits humains, avec des règles arbitraires et changeantes (adaptées aux circonstances). L'Etat se dote d'une police puissante et d'un arsenal répressif pour faire régner la terreur et éliminer les opposants. La diversité des opinions est interdite et un parti unique détient le pouvoir à tous les niveaux de l'Etat. Le totalitarisme se distingue aussi par la volonté de faire émerger un homme nouveau.

La servitude volontaire

Aux populations dont la liberté politique a été confisquée, Etienne de La Boétie (1530-1563), dans son Discours de la servitude volontaire, affirme audacieusement: « Soyez décidés à ne plus servir, et vous voilà libres » ! Le pouvoir du tyran n'est en effet pas quelque chose de magique, il ne procède que de l'obéissance qui le soutient: « Celui qui vous maîtrise tant n'a que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'un corps, et n'a aucune autre chose que ce qu'a le moindre des hommes de toutes vos si nombreuses villes [...] Comment a-t-il pris tant de mains pour vous frapper, s'il ne les prend de vous ? Les pieds dont il écrase vos cités, d'où les a-t-il s'ils ne sont les vôtres ? ». C'est l'obéissance au tyran qui fait son pouvoir. La Boétie, après ce premier constat, s'interroge sur les raisons de cet état paradoxal qu'il appelle la « servitude volontaire ». Il dresse par la suite une liste des ruses et moyens de domination des tyrans sur les populations soumises à leur autorité:

On remarque que la toute-puissance du tyran ne relève finalement que de l'hallucination. Ainsi, « c’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge; qui, pouvant choisir d’être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse ».

La révolte légitime

Lorsque l'Etat abuse de son pouvoir, n'est-il pas légitime de lui désobéir ? Grave question que se sont posés de nombreux philosophes.
Selon les théoriciens du contrat social, la légitimité de l'Etat repose sur le consentement général de ses membres et le renoncement de chacun à son droit naturel. Tant que l'institution étatique semble user légitimement de son pouvoir, tout citoyen lui doit obéissance; mais lorsque l'Etat rompt le pacte social en violant les libertés les plus élémentaires, la révolte devient non seulement légitime mais nécessaire.
Le peuple doit ainsi retirer son consentement à tout Etat tyrannique. La toute-puissance de l'Etat, rappelle La Boétie, est illusoire. Le peuple doit prendre conscience de son pouvoir pour se libérer de l'oppression. Cela passe par la conscience de sa responsabilité politique.


Liberté d'opinion et d'expression

La liberté d'expression inséparable de la liberté d'opinion

La liberté d'opinion et d'expression est une liberté politique fondamentale. Tous les Etats autoritaires ont cherché à la contrôler ou à la supprimer car pouvant s'avérer dangereuse. En URSS, en Chine, on a poursuivi des intellectuels pour leurs opinions « bourgeoises » ou « réactionnaires ». Durant la Terreur en France, tous les individus suspectés d'avoir des idées royalistes ou contre-révolutionnaires risquaient la peine de mort.

La liberté d'opinion est donc la liberté d'avoir des convictions autres que celles du pouvoir en place, autres que celles de l'idéologie dominante. C'est donc accepter la diversité des points de vue. Cependant, à quoi cela sert-il de défendre la liberté de pensée si elle ne se réduit qu'à une vaine rêverie ? Quelle est-elle si on n'a pas le droit d'exprimer son opinion, de la partager avec autrui ? La liberté d'opinion apparaît ainsi inséparable de la liberté d'expression.

Une apologie de la liberté d'expression

Pour John Stuart Mill (1806-1873), ardent défenseur des libertés, toute forme de censure est injustifiable, quelle que soit l'opinion exprimée. Ce philosophe libéral fait une apologie de la liberté d'expression dans sou ouvrage De la liberté. Voici le raisonnement adopté par J.S. Mill:

J.S. Mill appelle aussi à tirer les leçons du passé, montrant que des opinions autrefois persécutées ne l'ont été parce que les persécuteurs étaient sûrs de leur infaillibilité, et agissaient en toute bonne foi. Mill cite les figures de Socrate, du Christ et de Marc-Aurèle (persécuteur du christianisme). Quant à l'argument selon lequel la persécution est une épreuve que la vérité doit subir, Mill répond que « c'est pure sensiblerie » que de penser que la vérité posséderait la capacité « de passer outre le cachot et le bûcher ».

La complexité du problème

En 1948, l'Organisation des Nations Unies (ONU) a adopté une Déclaration universelle des droits de l'Homme à Paris, dont l'article 19 précise que « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ». En réalité, la liberté d'expression se voit limitée par tout un ensemble de principes parmi lesquels:

De même, les contraintes sociales, la pression exercée par la culture dominante, la faiblesse d'esprit restreignent notre liberté de pensée. La liberté d'opinion et d'expression totale apparaît ainsi plus comme un idéal que comme une réalité.



La liberté politique apparaît plus comme un idéal qu'il faut poursuivre à chaque instant plutôt qu'un droit garanti et inaliénable. Elle permet de juger le régime politique dans lequel nous vivons et permet de progresser vers plus de liberté. Cependant, elle peut être confisquée par un régime oppressif s'installant subitement par un renversement du régime politique en place ou graduellement au coeur d'une république. C'est pourquoi la sauvegarde de nos libertés suppose la conscience de sa responsabilité politique et une vigilance à chaque instant. Quand celle-ci est menacée, le devoir du citoyen est la désobéissance afin de ne pas sombrer dans ce que La Boétie nomme la « servitude volontaire ».

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