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La justice et le droit

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Modifié : 07/11/2009 à 21h13

La justice, avant d'être une institution humaine, est avant tout un sentiment intuitif. Tout le monde a jour ou l'autre protesté face à une décision provenant d'une autorité (parents, professeurs, etc.): « ce n'est pas juste ! ». Le sens du juste apparaît donc comme évident, mais comment le définir ? La notion de droit, elle aussi, pose problème. Dans un sens juridique, elle désigne l'ensemble des lois existantes dans une société donnée. Mais cette notion appelle également les libertés fondamentales de tout être humain, indépendamment de la société donnée (y-a t'il donc plusieurs droits ?).


Qu'est-ce qu'être juste ?

La légalité

Comment définir ce qui est juste ? Dans le langage courant, on utilise le terme comme synonyme d'insuffisant (« résultats scolaires trop justes », « un pantalon juste »,...) ou d'exact (« ça tombe juste », « la solution à cet exercice est juste »,...) ou encore pour désigner un comportement moral (« cette décision est juste »).
Dans la sphère du droit est désigné comme juste ce qui est conforme à la loi. Cependant, le critère de la légalité est insuffisant pour désigner ce qui est juste, car les lois seraient alors pensées comme sans défaut, parfaites, et les lois injustes n'existeraient pas ! Or l'histoire (et même notre monde contemporain) nous donne de nombreux exemples de lois injustes (législations qui instaurent des discriminations liées à la religion ou au groupe ethnique,...).

La justice et l'équité

Le juste est aussi ce qui est en accord avec l'équité. Être juste, c'est ne pas poser en principe, sans justification, que parmi les Hommes, certains doivent être privilégiés par rapport à d'autres (moi et ceux de ma famille, les individus de sexe mâle, etc.).
Aristote (384-322 av. J.C.) pose que « le juste est ce qui [...] respecte l'égalité ». Dans son Ethique à Nicomaque, il établit une distinction entre justice distributive et justice commutative. La justice distributive est basée sur l'idée de proportionnalité et répond à la règle du « chacun son dû ». La justice commutative est quant à elle basée sur l'idée de l'égalité arithmétique: par exemple « à travail égal, salaire égal ». L'esprit de justice est donc étroitement lié à la notion d'égalité et de proportionnalité: les Hommes sont tous égaux en valeur et en droits. Si un salarié produit un travail plus important qu'un autre salarié, il mérite un meilleur salaire; si un crime plus grave qu'un autre a été commis, la sanction doit être plus lourde.
Remarquons que ce double aspect de l'idée de justice est intuitivement connu de tous: un enfant ressent de l'injustice quand il n'a pas de bonbon au contraire de son frère (justice commutative), au contraire, il comprendra que cette décision est juste s'il s'est mal comporté (justice distributive).
Ce qui est juste est donc ce qui est légal tant que la loi est équitable.


Le droit et la force

Le droit en tant que négation de la force

Le droit est l'ensemble des lois qui définit ce qui est permis et ce qui est interdit à l'intérieur d'une société. Le droit est donc une série d'énoncés normatifs: comme un certain nombre de comportements sont inacceptables, on décide normer les comportements par des règles de droit. S'il n'existait pas de telles règles, chacun pourrait porter atteinte à autrui. Seule la force pourrait alors mettre à fin à cette liberté qui consiste en un échange sans fin d'agressions (" oeil pour oeil, dent pour dent ").
Le droit s'oppose à la loi du plus fort. Il n'exprime donc pas la force, il en est la négation.

Le droit doit composer avec la force

Le droit instaure donc d'autres relations que les purs rapports de force mais ces derniers ne sont pas pour autant balayés. Si les forts acceptent de se faire les égaux des faibles dans le cadre de la loi, ce n'est pas par sens moral mais par intérêt. Si, par le droit, il y a théoriquement une équité entre tous les individus d'une société, dans les faits les facteurs d'inégalités restent nombreux. Que ce soient des inégalités au niveau intellectuel ou physique, elles sont considérablement accrues par les facteurs de la société: répartition des richesses, division du travail, accès à la culture, etc.
C'est ainsi que Karl Marx (1818-1883) a développé son concept de « lutte des classes ». D'après l'analyse marxiste, l'Histoire a toujours opposé les dominants, peu nombreux, aux dominés, en plus grand nombre: maîtres contre esclaves, seigneurs contre serfs et patrons contre ouvriers. Les rapports de force, d'après Marx, constituent l'essence même de la société.
De même, pour les sophistes, les lois, derrière leurs silhouettes universelles et indépendantes de tout intérêt particulier, ne sont rien de plus qu'un déguisement de la volonté du plus fort. Qu'est-ce qui me paraît juste ? Ce qui est conforme à mes intérêts !

Cependant, un rapport de force pur ne peut jamais instaurer un droit qui soit stable. Le rapport de force est incapable d'instaurer la moindre obligation (à distinguer de la contrainte) en tant qu'autorité physique et non autorité morale. De la soumission des plus faibles, on ne peut tirer aucune norme. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) remarque ainsi dans son Contrat social qu'il n'y a pas plus d'obligation d'obéir à celui qui exerce un pouvoir par la force qu'à un brigand qui me vole ma bourse, et que désobéir face à un tel homme est aussi légitime que de se soigner lorsque l'on est malade.

Néanmoins, il est toutefois vrai que les règles juridiques instituées le sont généralement par un pouvoir installé par la force: le droit trouve souvent sa source dans la force.

Le droit a son recours dans la force

Le droit s'oppose donc à la force, mais sans la force, il se retrouverait inopérant. C'est la thèse de Pascal (1623-1662) pour lequel la justice sans la force est impuissante, et la force sans la justice est tyrannique. L'Etat use par conséquent de sanctions (amende, peine de prison,...) pour obliger le citoyen à respecter la loi. La police, en tant que force publique, est le symbole même de cette force.
Max Weber (1864-1920) affirme ainsi, dans une conférence de 1919 parue dans le recueil Le Savant et le Politique que tout Etat de l'Occident moderne doit utiliser la force, non seulement comme menace, mais aussi effectivement. Selon l'expression de Weber, l'Etat détient « le monopole de la violence légitime » sur son territoire. Le droit consiste donc en l'organisation institutionnelle d'une violence dont le monopole revient à l'Etat.


Le fondement de l'ordre juridique

Droit positif et droit naturel

Le droit positif est ce qui fait l'objet d'un acte humain d'institution. C'est une construction artificielle, qui dépend d'un Etat à un autre et d'une époque à une autre (des lois peuvent être abrogées et de nouvelles adoptées). Ce droit codifié est donc relatif.
Le droit naturel (ou droit idéal) n'est en revanche pas l'objet d'une institution. Il est universel et définit les rapports idéaux des hommes entre eux au sein d'une société raisonnable. C'est l'ensemble des droits moraux attachés au respect de la personne humaine. Il découle, si l'on se place du point de vue du monde des Idées platoniciennes, de l'Idée du Juste.

L'idéalisme juridique

On est tenté d'affirmer que le droit naturel l'emporte sur le droit positif institué par les Etats. Ainsi, de ce point de vue, la mission du législateur serait de rapprocher dans la mesure du possible le droit positif du droit naturel. La loi positive ne trouverait sa pleine légitimité uniquement qu'au regard du droit naturel. On considérerait dans ce cas qu'une loi est illégitime si elle n'est pas conforme à l'Idée du Juste. Il se pose alors la question de savoir s'il ne vaudrait mieux pas désobéir aux lois jugées illégitimes.
On appelle « idéalisme juridique » la doctrine qui entend fonder le droit positif dans le droit naturel.

Le positivisme juridique

L'idéalisme juridique peut être critiqué. On peut tout d'abord contester qu'il existe une Idée du Juste. Aussi, comment peut-on formuler le droit naturel ? Le positivisme juridique émet des doutes quant à la possibilité d'une codification du droit naturel, à supposer qu'il existe. Hans Kelsen (1881-1973) affirme que l'on peut critiquer une loi positive à la lumière d'une idée du juste, mais qu'il peut exister autant d'idées du juste que d'individus. Si l'on est radical, on en arrive à la conclusion qu'il faut renoncer à évaluer le droit positif par rapport à un hypothétique droit naturel. La légitimité revient donc au droit positif, quel que soit son contenu.
On appelle « positivisme juridique » la doctrine qui n'entend pas fonder le droit positif sur autre chose que son institution par un organe compétent.

La principale objection que l'on pourrait opposer au positivisme juridique est qu'en assimilant légal et légitime, on se prive du moyen de critiquer n'importe quelle loi, même lorsqu'elle incite ou contraint à des choses inacceptables (législation raciste par exemple).



Nous pouvons remarquer que les notions de droit et de justice sont imbriquées et s'appellent l'une l'autre. Le juste est ce qui est conforme au droit et l'injuste à ce qui ne l'est pas. Le droit détermine le juste et l'injuste. La justice est chargée de faire appliquer le droit. Nous avons aussi vu qu'il existe une relation entre le droit et la morale avec la notion d'équité. Il suffit d'en tirer les conclusions qui s'imposent. Le droit n'est pas la volonté du plus fort, c'est donc l'institution ayant pour but de faire respecter l'équité à l'intérieur des sociétés.

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