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Que devrais-je faire ?

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Modifié : 13/10/2009 à 16h39

La philosophie morale se présente comme un guide de la vie et de l'action. Elle nous renseigne sur ce qu'est la morale et doit nous aider à mener une vie accord avec la moralité. Elle revendique son aspect « pratique ». Nous allons examiner dans ce document trois concepts concurrentes de la morale: l'utilitarisme, le respect de la loi divine et l'impératif catégorique kantien.


La morale utilitariste

Les actions et leurs conséquences

Le philosophe et penseur politique britannique Jeremy Bentham (1748-1832) est le fondateur de l'utilitarisme. Cette doctrine philosophique pose le principe « du plus grand bonheur du plus grand nombre d'individus ». Il s'agit d'une morale conséquentialiste: l'acte n'est pas bon ou mauvais en soi mais seulement en fonction de ses conséquences. Ainsi, un mensonge qui optimise le bonheur est moralement bon. La quantité de bonheur créé par une action est la somme de tous les plaisirs produits chez tous les individus concernés, moins la somme de toutes les douleurs engendrées.

L'utilitarisme dérive de l'empirisme qui pose que l'homme est naturellement gouverné par le plaisir qu'il recherche et la douleur qu'il fuit. La morale de Bentham est une « arithmétique des plaisirs et des peines » (l'expression est de lui). La société la meilleure est celle où le plus grand nombre de citoyens est heureux et le plus petit nombre malheureux. L'utilitarisme est ainsi étroitement lié au libéralisme (politique et économique).

John Stuart Mill et la hiérarchie des plaisirs

Pour John Stuart Mill (1806-1873), second grand nom de l'utilitarisme, certains plaisirs, plus « élevés » que d'autres, contribuent davantage au bonheur, même s'ils engendrent de la peine. Ainsi, tout le monde s'accordera pour dire que vivre une intense relation amoureuse, même si cela peut engendrer la douleur du manque ou de la rupture, est nettement préférable qu'un excellent repas.

Lorsque nos besoins élémentaires sont satisfaits (boire, manger, dormir,...), Mill pense que nous préférons naturellement les plaisirs intellectuels (la connaissance,...), des sentiments (l'amour,...) et de l'imagination (rêveries,...) qu'aux plaisirs du corps et des sens, même s'ils peuvent engendrer des douleurs.

A ceux qui objectent que l'utilitarisme nous ravale au rang de la bête, Mill répond qu' « il vaut mieux être un homme insatisfait qu'un porc satisfait », et de la même façon, qu'il est préférable d'être Socrate malheureux qu'un imbécile heureux.

Enfin, il a été objecté à l'utilitarisme que nous ne pouvons pas prévoir les conséquences d'une action et savoir si elle va optimiser le bonheur ou non. Mill précisait qu'une action est bonne si l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'elle optimise le bonheur. Selon lui, nous possédons naturellement un sens solide de cette estimation grâce aux règles morales dont nous avons hérité. On peut s'attendre à ce que mentir ou voler n'optimise pas le bonheur général, au contraire de tenir ses promesses ou être gentil.

Objections à l'utilitarisme

Le grand problème de l'utilitarisme est précisément que cette philosophie n'élimine aucun type d'action, même les plus condamnables. Ainsi, si un criminel sadique torture un homme abandonné de tous (dont personne ne se soucie) et qu'il en retire plus de bonheur que le torturé en retire de douleur, alors cette action est bonne. Le bonheur, selon l'utilitarisme, ne se fonderait donc pas obligatoirement sur des choses bonnes.

De plus, mon bonheur ne compte pas plus que celui d'un autre. Ainsi, l'importance que nous accordons à notre bien-être et à celui de nos proches est nié mais de plus, cette philosophie est difficilement applicable. Ainsi, lorsque j'achète quelque chose qui ne répond pas à mes besoins élémentaires (achat d'une place de cinéma, d'un sachet de sucreries,...), je pourrais au lieu de faire cet achat reverser l'argent à des organismes charitables, je créerais ainsi plus de bonheur... Tout plaisir superflu à mon bien-être serait ainsi à éviter, ce qui est évidemment impensable.


Le commandement divin

La loi divine

Du point de vue du croyant, l'éthique est une chose très simple: si Dieu a dit que telle chose est mal alors elle est définitivement et irrémédiablement mal. Ainsi, certaines actions sont perçues comme bonnes ou mauvaises en soi parce que Dieu le veut et nous a ordonné d'agir de la façon dont il nous l'a indiqué dans les révélations divines. Il en est ainsi pour les dix commandements de Moïse:
1. Tu n'auras pas d'autres dieux face à moi.
2. Tu ne te feras pas d'idoles. [...]
3. Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur, ton Dieu. [...]
4. Le septième jour, c'est le sabbat du Seigneur ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage.
5. Honore ton père et ta mère. [...]
6. Tu ne commettras pas de meurtre.
7. Tu ne commettras pas d'adultère.
8. Tu ne commettras pas de rapt.
9. Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain.
10. Tu n'auras pas de visées sur la maison de ton prochain.

Les problèmes du respect de la loi divine

La loi divine pose un problème. Lorsque l'on lit que l'on doit honorer son père et sa mère, qu'est-ce que cela signifie vraiment ? Faire tout ce que nos parents souhaitent ? Les laisser décider de notre vie, par exemple épouser un tel comme mes honorables père et mère le veulent ? Ou simplement offrir un bouquet de fleurs à sa mère le jour de la fête des mères ?

Objection à la révélation divine

Dieu nous dit de faire telle chose parce que cette chose est bonne en elle-même ou nous dit-il de faire telle chose parce qu'il l'a fait bonne ? Autrement dit, la morale est-elle la volonté de Dieu ou bien un ensemble de valeurs auxquelles Dieu voudrait nous voir adhérer parce qu'elles sont bonnes ? Si la morale est indépendante de Dieu (si elle n'est pas la création de Dieu), alors Dieu n'est pas tout-puissant, ce qui rentre en contradiction avec les révélations divines. Si le bien est-ce que Dieu veut, alors Dieu a inventé la morale, mais alors celle-ci n'a pas de fondement rationnel (puisqu'il aurait très bien pu déclarer arbitrairement « bon » un autre ensemble de valeurs). Donc Dieu peut être irrationnel (non raisonnable), ce qui est là encore contradictoire avec les révélations divines.


L'impératif catégorique kantien

L'universalité de la morale et de la raison

Selon le philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804), les principes moraux peuvent être tirés de la raison seule. Parce que la raison est universelle (identique chez tous les êtres raisonnables), la morale est elle aussi universelle, la même pour tous les Hommes. « Les lois morales doivent être valables pour tous les êtres raisonnables » (Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs). En revanche, la morale ne s'applique pas chez les êtres qui sont incapables de choix rationnels, comme les animaux ou les fous. S'ils se comportent mal, ce n'est certainement pas d'un point de vue moral.

Morale et rationalité sont catégoriques. « Catégorique » signifie « absolu », « indépendant des circonstances », ce qui s'oppose à « hypothétique » (soumis à un certain nombre de conditions).
Pour Kant, la morale doit être compréhensible par le plus simple des hommes car elle repose sur un principe évident. Ce principe est un impératif. De là vient le terme d' « impératif catégorique ».

L'impératif catégorique

L'impératif catégorique s'énonce sous la forme suivante: agis toujours de telle manière que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle de la nature. Une des formulations de Kant est: « Agis selon la maxime qui peut en même temps se transformer en loi universelle ».
Une maxime est une intention ou un principe personnel qui est à la base d'un choix. « S'amuser le plus possible » est un exemple de maxime. Tous nos actes sont fondés sur des maximes.

Kant pose pour critère de la moralité de nos actions que, si tous les hommes agissaient de la même manière, l'état de la société s'en trouverait amélioré. Ainsi le vol ou le mensonge ne sont pas des principes moraux. Dans le premier cas, si tout le monde se servait chez les autres, la notion même de propriété disparaîtrait. Et comme il est impossible de voler quelque chose qui n'appartient à personne, il devient logiquement impossible pour tout le monde de voler. Dans le second cas, si tout le monde mentait, l'ordre de la société, qui repose sur la véracité, s'en trouverait détruit. Il est donc impossible pour tout le monde de mentir, le mensonge devant rester une exception.

Nous pouvons donc découvrir nos devoirs par la seule raison en soumettant nos maximes à l'épreuve de l'universalisation. Choisir de se comporter d'une manière que tout le monde ne pourrait pas adopter est donc à la fois immoral et irrationnel.

Objection à Kant

La grande difficulté de la morale kantienne tient dans le fait que la notion de devoir postulée par Kant ne prend pas en compte les conditions concrètes de la situation au moment où l'action s'effectue dans le monde. Ainsi, Benjamin Constant (1767-1830) affirmait que le mensonge est, certes, une faute, mais qu'il vaut mieux parfois mentir que dire la vérité: pour Kant, il serait à la limite plus moral de dénoncer à la Gestapo un juif réfugié chez soi plutôt que de taire sa présence. Hegel (1770-1831) remarque que la conscience morale kantienne se pose comme autonome, c'est-à-dire indépendante de la réalité extérieure, et que de son côté la réalité extérieure ignore la conscience morale; et donc qu' « au fondement de ce rapport se trouvent d'une part la pleine indifférence mutuelle et l'indépendance spécifique de la Nature [réalité extérieure] et de la moralité » (Phénoménologie de l'Esprit). Cette indépendance créé un divorce interne entre l'être intelligible et l'être sensible qui constituent ma personne. L'obligation morale, relevant de l'intelligibilité, s'oppose au désir, relevant de la sensibilité. Le désir se trouvant rejeté hors de la sphère morale, le bonheur l'est lui aussi, ce dont convient Kant: « dans la loi morale, il n'y a pas le moindre principe pour une connexion nécessaire entre la moralité et le bonheur qui lui est proportionné » (Critique de la raison pratique). La conscience morale devient ainsi conscience malheureuse.
Les contradictions vécues par la conscience se manifestent dans le recours aux postulats kantiens de l'action morale (Dieu, l'au-delà, le libre-arbitre) qui rendent mes actions compréhensibles (Dieu récompense, l'au-delà permet d'être récompensé et sans le libre-arbitre, la théorie morale de Kant n'aurait aucun sens). Mais ce n'est là qu'une vision du monde, ajoute Hegel.



Après avoir examiné successivement trois réponses à l'interrogation du « Que devrais-je faire ? », nous pouvons voir qu'aucune de ces trois réponses n'est réellement satisfaisante. Et si, au lieu de se demander « Qu'est-ce qui aura les meilleures conséquences ? » comme le recommandent les utilitaristes, « Qu'est-ce que Dieu m'a ordonné de faire ? » comme l'affirment les fondamentalistes ou « Tout le monde pourrait-il faire cela ? » comme le suggère Kant, nous pensions nos actions en terme de vertus ? « Cette action serait-elle généreuse/loyale/courageuse... ? ». L'éthique de la vertu n'est cependant pas une méthode de prise de décision comme le sont les trois théories exposées précédemment dans ce document, mais seulement une sagesse pratique et un ensemble de conseils qui amène à réfléchir aux situations auxquelles nous sommes confrontés, ce qui fait sa force mais aussi sa faiblesse.

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