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L'Univers et le hasard

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Modifié : 26/12/2009 à 13h24

Le hasard a un statut central dans les sciences, placé au coeur même de la rationalité scientifique. Celui qui affirme qu'il n'y a pas de hasard, ou que la chance est de son côté, est considéré au mieux comme superstitieux, au pire comme obscurantiste (amateur de l'irrationnel).
Mais peut-on expliquer l'apparition de notre Univers et de la vie par une intervention du hasard ? Invoquer le hasard est-il vraiment raisonnable ou n'est-ce que le signe d'une attitude prudente qui masque une ignorance profonde ? Le hasard explique-t'il le monde qui nous entoure ?


Le concept de hasard

Qu'est-ce que le hasard ?

Le mot « hasard » vient de l'arabe « az-zahr » qui signifie « jeu de dés ». Ainsi, le terme de hasard désigne ce qui apparaît comme imprévisible. Je lance un dé, je fait 6, je le relance, j'obtiens 2, et ainsi de suite sans avoir le moyen de savoir quel est le prochain numéro qui sortira (à moins que le dé ne soit pipé !).
Cependant, le résultat d'un jeu de dé dépend de toute une série de facteurs tels que la force et l'angle du lancer, la nature physique du support sur lequel le dé tombera, etc. En ayant connaissance de tous ces facteurs pourrions nous prévoir le résultat du lancer ? Existe t'il un hasard objectif ou le hasard n'est-il dû qu'à notre ignorance ?

Le hasard dans le paradigme mécaniste

Le paradigme mécaniste, inauguré par Descartes et Galilée, élimine toute forme de hasard objectif. Tout événement de l'Univers résulte d'une stricte relation de cause à effet, et à partir d'un instant t de son état, en ayant connaissance de toutes les données nécessaires, il serait possible de prévoir son évolution future. Si un phénomène A se produit, c'est qu'il a eu pour cause un phénomène B qui a eu lui même pour cause un phénomène C et ainsi de suite.

Dans son Essai sur les fondements de nos connaissances, Antoine Augustin Cournot (1801-1877) pose l'hypothèse qu'il existe plusieurs séries causales indépendantes. Le hasard essentiel découlerait de l'interférence de plusieurs séries causales indépendantes. On dira d'un médecin qui, allant voir un malade, reçoit dans la rue une tuile sur la tête qu'il n'a pas eu de chance: il devait nécessairement aller voir le malade et la tuile devait nécessairement tomber à cause du vent qui soufflait alors. Il s'agit ici d'un hasard essentiel. En revanche, le résultat d'un lancer de dés ne résulte que d'un hasard opérationnel.

Le hasard et l'indéterminisme quantique

En mécanique quantique, le principe d'incertitude ou d'indétermination d'Heisenberg (formulé en 1927) postule que l'on ne peut pas connaître à la fois la position et la vitesse d'une particule, parce que tout système de mesure interfère avec la particule (alors que dans le monde macroscopique, cette interférence est négligeable). Le déterminisme n'est donc pas universel et la célèbre affirmation de Laplace (« si nous connaissions la vitesse et la position des particules de tout l'Univers, le passé le présent et l'avenir seraient présents à nos yeux ») n'est par conséquent plus soutenable. Werner Heisenberg (1901-1976) conclut de l'indéterminisme quantique que l'incertitude est inhérent au monde subatomique. Aujourd'hui, les physiciens quantique, dans leur majorité, considèrent qu'il existe dans la texture même de l'Univers un hasard objectif.


Le hasard, le big-bang et la vie

Le principe anthropique

L'astrophysicien Brandon Carter (né en 1942) fut le premier a ériger le concept de « principe anthropique ». Ce terme signifie que l'univers est parfaitement compatible avec notre présence: « Ce que nous pouvons nous attendre à observer doit être compatible avec les conditions nécessaires à notre présence en tant qu'observateurs. ».

La cosmologie a récemment prouvé l'improbabilité d'un Univers qui pourrait abriter la vie.
La chance, au moment du big-bang, d'avoir un Univers ayant une densité ni trop faible ni trop forte, les bonnes charges électriques des neutrons, protons et électrons, une inhomogénéité de l'Univers suffisante, des forces nucléaires forte et faible adaptées (etc.) fait de l'apparition de la vie le résultat d'une combinaison inouïe d'événements. La probabilité est tellement faible que l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan a calculé qu'elle équivaut approximativement à celle, pour un archer, de toucher une cible de 1 centimètre carré situé à l'autre bout de l'Univers, en tirant une seule et unique flèche depuis la Terre, sans savoir où se situe la cible.

La théorie de l'évolution

Le biologiste (et prix Nobel) Jacques Monod (1910-1976) est un représentant du paradigme néodarwiniste. Dans son célèbre ouvrage Le hasard et la nécessité (1970), il se montre très dogmatique sur la question du hasard dans l'évolution: « le hasard seul est à la source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère. Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue mais aveugle, à la racine même du prodigieux édifice de l'évolution : cette notion centrale en biologie n'est plus aujourd'hui une hypothèse, parmi d'autres possibles ou au moins concevables. Elle est la seule concevable, comme seule compatible avec les faits d'observation et d'expérience. ». Cette notion centrale dans l'ouvrage de Monod a suscité de vives polémiques.

Pour le néodarwinisme, le hasard seul est la source de toute modification du code génétique, et la sélection naturelle élimine les mutations inadaptées au milieu. Le hasard couplé à la sélection est censé expliquer l'ensemble de l'évolution du vivant.
Or, toute la physique du XXème siècle est ignorée, en particulier la mécanique quantique. La démarche de Monod s'inscrit dans la science mécaniste du XIXème siècle. Comme le note le biologiste Rémy Chauvin, « beaucoup de biologistes semblent ignorer la révolution dans la physique et dans la manière de voir le monde et la nature qui a pris place depuis une soixantaine d'années [...] Évidemment, pour le travail courant, cette ignorance de la physique quantique n'a pas beaucoup d'importance ; quand on en vient néanmoins à parler de l'évolution, de la notion de temps, de l'idée de cause, et surtout quand on approche les zones très dangereuses où gît l'intelligence, les problèmes de la physique moderne prennent brusquement beaucoup d'importance. L'évolution en effet implique, qu'on le veuille ou non, la notion de temps et de cause... ». Monod s'inscrit dans le schéma déterministe de l'Univers qui prévalait jusqu'à la révolution quantique; aujourd'hui le déterminisme est mort, ayant laissé sa place à un Univers probabiliste. La notion même de hasard n'est pas évidente, des champs d'énergie pouvant modifier les probabilités de réalisation d'un événement au niveau subatomique. Le hasard cher à Monod pourrait donc être « le nom que Dieu prend quand il ne veut pas qu'on le reconnaisse » (Albert Einstein). La conscience et l'esprit passent au premier plan pour les physiciens autour de la question de l'observateur et de sa mesure. Enfin, le temps pourrait bien n'être qu'une forme de notre sensibilité, c'est à dire qu'il pourrait être déployé dans son entier comme l'espace, la conscience étant la seule entité mobile de ce vaste présent immobile.



Quand nous descendons dans les profondeurs du hasard, au niveau de ses actions possibles, nous ne trouvons qu'une improbabilité inouïe, qui tend vers l'impossibilité (dans le cas du principe anthropique notamment). Si le hasard peut avoir un sens, c'est uniquement en tant qu'auxiliaire d'une instance supérieure. Accorder une importance prodigieuse au Hasard ou faire de la Providence l'agent organisateur de l'Univers, quelle importance si on leur attribue les mêmes propriétés ?

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