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Le discours historique

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Modifié : 25/09/2009 à 17h11

Pendant longtemps, l'Histoire n'a été considérée que sous un angle littéraire ou mythique. Les premiers « historiens » grecs (l'Illiade, l'Odyssée) ou indiens (le Mahabharata) ne s'encombraient pas des dates. Ils ne voyaient en l'Histoire qu'un savoir à but essentiellement spirituel pour les Hommes.
Ce n'est qu'au XIXème siècle que l'on a essayé de fonder une « science historique », les historiens commençant à se soucier de l'exactitude des faits passés et de leur datation. Sur quels éléments se fonde le discours historique ? Si l'historien actuel a le souci de la vérité, peut-il néanmoins être véritablement objectif ? Aujourd'hui, en quoi consiste le travail de l'historien ?


Les fondements du discours historique

La mémoire

L'Histoire nécessite la mémoire, la conscience du passé mais aussi du futur. Au début de son Histoire, Hérodote (484/482-425 av. J.C.), considéré comme le premier grand historien grec, affirme vouloir sauver de l'oubli les traces des activités des Hommes. Il écrit au début de son récit: « voici l’exposé de l’enquête entreprise par Hérodote d’Halicarnasse pour empêcher que les actions accomplies par les hommes ne s’effacent avec le temps ». L'historien est donc le gardien des marques éphémères.
Mais la mémoire, si elle est la condition de l'histoire, ne s'y réduit pas pour autant. L'historien doit choisir les événements dignes d'être relatés dans le futur. L'historien Thucydide (460-400 av. J.C.), auteur de L'Histoire de la guerre du Péloponnèse, dit au commencement de son ouvrage qu'il l'a rédigé à cause de la grandeur des événements dont il était témoin. Point d'anecdotes futiles, juste des faits qui servent à la démonstration. L'Histoire s'attache donc à relater des événements humains qui ont été considérés comme mémorables.

L'écriture

La mémoire est donc nécessaire à l'Histoire, mais elle nécessite un support. L'écriture se révèle être le plus efficace. Sans l'écriture, l'Histoire n'aurait pas plus existé que les sciences ou la philosophie.
Les historiens se basent d'ailleurs essentiellement sur les documents écrits du passé. La tradition orale véhicule davantage des contes populaires ou des mythes fondateurs que de véritables discours historiques. Les annales chinoises qui regroupaient année après année les faits dignes d'être sauvés de l'oubli, ou les chroniques juives qui prétendaient remonter jusqu'à l'origine des temps représentent ainsi les formes les plus anciennes de l'Histoire.

La rationalité

L'historien français Paul Veyne (né en 1930) a montré que les Grecs inventaient en grande partie leur passé mais sans qu'ils aient l'intention de tromper ou de se tromper. En 1645, en se basant sur la généalogie de la Bible, l'archevêque irlandais James Usher affirma très sérieusement que la création du monde par Dieu eut lieu le 26ème jour d'octobre de l'an 4004 av. J.C. à 9 heures du matin ! Tout le monde pensait alors que le monde avait 6000 ans.
Il fallu du temps pour qu'historique arrive à signifier réel, ce qui a réellement eu lieu. Hérodote fut ainsi surnommé « le père de l'histoire » car il se refusait à donner aux événements dont il était contemporain des causes surnaturelles.


Les problèmes épistémologiques

Les faits historiques

L'Histoire est à la fois continuité temporelle et discontinuité événementielle: la chronologie symbolise cette caractéristique de l'Histoire avec sa ligne divisée par des points-repères. Certains événements retenus pour leur importance marquent les points de discontinuité: la découverte de l'Amérique (1492), la bataille de Waterloo (1815), etc.

Le travail historique nécessite donc une détermination des faits historiques, et c'est à l'historien de discerner les faits particulièrement significatifs de ceux qui n'ont pas de grande valeur.
Or, pendant très longtemps, les historiens n'ont retenu qu'à titre de faits historiques des actions politiques: avènement et mort d'un roi, déclaration de guerre et traité de paix, révolution, etc. Ce n'est que récemment, avec l'Ecole des Annales, que sont apparues de nouvelles formes d'histoire: ainsi il existe une Histoire de l'art, une Histoire des mentalités, une Histoire de la vie privée, etc.
Il apparaît donc difficile de définir le fait historique.

Aussi, l'historien n'est pas seulement un conteur, son travail ne se borne pas à relater les événements tels qu'ils se sont déroulés.
Les Grecs avaient fait de la recherche de la cause la condition de la connaissance. Or, la notion de cause soulève tout un ensemble de problèmes: contrairement aux sciences physiques, en Histoire, il n'y a pas répétabilité, pas de loi, pas de prédictibilité (le hasard et la liberté jouent des rôles essentiels).
L'historien préférera parler de facteurs plutôt que de causes. Ainsi, la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb a été motivée par des raisons religieuses (évangéliser et trouver des alliés face aux musulmans), techniques (invention de la Caravalle et amélioration des techniques de navigation), scientifiques (la curiosité des humanistes de la Renaissance) et politiques (la Castille et le Portugal s'étant construit sur la Reconquista, sur une idée de mouvement). Dira-t'on pour autant que la Reconquista est une cause de la découverte de l'Amérique ? Non, on dira que c'est un facteur de la découverte.

La subjectivité de l'historien

Fénélon (1651-1715) disait que le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays. De même, Leopold von Ranke (1795-1886) a fait de l'« exctinction de soi » une des exigences de l'historien.
Les progrès dans le domaine de traitement des informations (méthodes quantitatives, analyses physico-chimiques, etc.) pourrait faire croire que l'on est proche de l'idéal d'objectivité de l'historien. Cependant, cette objectivité rencontre toute une série de limites.

En premier lieu, aucun historien ne peut sortir de son présent. Par exemple, le choix du sujet d'étude ou la sélection des documents notent des principes a priori. On ne choisit pas comme sujet d'étude la Révolution française ou la papauté au Moyen-Âge pour les mêmes raisons.
En second lieu, l'Histoire est une science d'interprétation. Si le scientifique cherche à déterminer des causes, à dégager des lois, à expérimenter, l'historien cherche à comprendre les faits, à découvrir leur signification. Ainsi, l'essentiel du travail de l'historien ne consiste pas par à chercher le nombre de coups de poignard assénés à Jules César en 44 av. J.C. mais à comprendre le sens et la portée de cet événement. Or, comment rester neutre face à des sujets à controverse tels que la colonisation ou le régime de Vichy ?

L'imagination historique

Une fois l'historien en possession des documents, il doit « imaginer » ce qui a bien pu se passer à partir de ces sources. La représentation du passé construite par l'historien doit se faire à partir des documents rassemblés par l'historien. Le passé ne devient visible que grâce à l'imagination synthétique de l'historien qui unit en un schéma cohérent des fragments isolés du passé (une déclaration de témoin, des documents administratifs, des traces archéologiques,...).
Cependant, l'historien ne peut se fier aveuglément à ces documents, car « un auteur peut être victime d'un préjugé ou mal informé, cette inscription mal lue par un mauvais épigraphiste,[...] ce tesson déplacé par un fouilleur incompétent, celui-là par un lapin innocent » (Henri-Irénée Marrou). L'historien doit donc procéder à un travail de critique. C'est sa charge de considérer comme fiable ou non une source. De cette idée vient la formule de Charles Péguy « L'histoire se fait contre le document ».



Le travail de l'historien consiste donc moins à relater les événements qu'à reconstruire un passé à partir des fragments épars que sont les divers documents historiques. L'historien a pour but de comprendre le passé, de le « réactualiser » en se replongeant dans le contexte et l'esprit de l'époque étudiée: quelle intention avait Hammurabi, roi de Babylone, en promulguant son Code ? Quel était l'esprit qui animait Napoléon quand il s'est fait empereur ? Du fait de l'impossibilité de l'historien de sortir de son présent, d'adopter en quelque sorte le point de vue de Dieu, l'Histoire ne peut être que subjective.

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