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L'échange et le don

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Modifié : 23/12/2009 à 14h59

Toute société humaine est fondée sur les échanges entre les individus. Adam Smith (1723-1790), considéré comme le fondateur de la science économique, disait qu'on ne verra jamais un chien échanger son os contre l'os d'un autre chien. On trouve dans le monde animal des modes de communication très divers, on observe aussi des systèmes de production qui peuvent être très sophistiqués (par exemple l'élevage de pucerons ou la culture des champignons chez les fourmis); en revanche, l'échange dans son sens commercial semble être un phénomène spécifiquement humain.


L'échange et l'argent

Valeur d'usage et valeur d'échange

Au départ, la monnaie n'était qu'un objet de métal comme un autre qui permettait de faciliter le troc. Si le troc peut être satisfaisant pour un pêcheur qui par exemple souhaite échanger sa prise contre un couteau chez le forgeron, ce système montre ses limites quand il s'agit d'échanger des poissons contre un lit. Dans ce cas, il faut rendre commensurables ces deux produits, c'est-à-dire leur donner une grandeur mathématique commune. Si la monnaie a été instituée pour faciliter les échanges, elle a cependant tendance à dénaturer la valeur intrinsèque, appelée valeur d'usage, d'une chose, en lui substituant la valeur d'échange.

Aristote (384-322 av. J.C.) fut le premier à montrer que l'argent, moyen commode d'échange, pouvait devenir une fin en soi (on peut vouloir l'argent pour l'argent); ce qui constitue une véritable perversion à ses yeux. Cette perversion de l'économie est la chrématistique (l'art de l'accumulation de la monnaie). Aristote rappelle le mythe de Midas, roi de Phrygie, qui demanda au dieu d'acquérir le pouvoir de transformer en or tout ce qu'il touche. Le roi, qui pense devenir ainsi l'homme le plus riche au monde, ne peut plus ni manger ni boire puisque dès qu'il touche un aliment, celui-ci se transforme en or. Comment cet homme pourrait-il être qualifié de riche s'il ne peut même plus satisfaire ses besoins élémentaires ?

La subjectivité de la valeur d'échange

Lors d'un échange, la valeur d'échange exprimée par le prix est toujours inférieure à la valeur d'usage du demandeur et toujours supérieure à la valeur d'usage de l'offreur. Par exemple, si j'ai faim et que j'achète une baguette de pain à un euro, c'est que de mon point de vue la baguette achetée vaut plus qu'un euro (sinon je ne l'aurais pas acheté). La pièce d'un euro m'est à ce moment là moins utile que la baguette pour satisfaire mes besoins. Pour le boulanger en revanche, la baguette de pain vaut moins qu'un euro (sinon il ne l'aurait pas vendu, ou aurait augmenté le prix). Quand un échange a lieu, les deux partis font une bonne affaire.

Le commerce pacificateur ?

L'échange inscrit les individus dans une relation égalitaire, indépendamment de leur position sociale ou de leur talent. Adam Smith écrit qu'il y a « un certain penchant naturel à tous les hommes [...]; c'est le penchant qui les porte à trafiquer, à faire des trocs et des échanges d'une chose pour une autre ». L'échange, non seulement respecte l'égalité des agents économiques, mais aussi la liberté puisque l'idée d'une relation commerciale contrainte est absurde. Pour Montesquieu (1689-1755), l'esprit de commerce produit « un certain sentiment de justice exacte opposé au brigandage ».
Thomas Hobbes (1588-1679) développe une analyse similaire: à l'état de nature, l'Homme est secoué par des passions violentes. La rivalité, la jalousie, la méfiance, l'ambition poussent à la guerre. Inversement, « les passions qui inclinent les hommes à la paix sont la crainte de la mort, le désir des choses nécessaires à une vie agréable, l’espoir de les obtenir par leur industrie. » (le Léviathan).


Le don est-il une forme d'échange ?

La logique du don

La possibilité d'assimiler le don à l'échange peut paraître provocatrice, car l'opinion commune conçoit le don comme un geste désintéressé sans contrepartie. Pourtant, à mieux regarder le don, on y observe une certaine dimension que certains qualifieraient de « cynique ».
Ainsi, le sociologue français Marcel Mauss (1872-1950) voit dans le don une triple obligation:
1. Celle de donner.
2. Celle de recevoir.
3. Celle de rendre.
On ne peut en effet pas refuser de recevoir un cadeau, décliner une invitation ou même ne pas répondre à un bonjour sans risquer de vexer autrui. De même, un don attend généralement un retour, car il met autrui dans une situation de dette (« je te le revaudrais », « tu m'as aidé, je te rendrais la pareille », etc.).
Le don est toujours intéressé. Il n'est pas difficile de voir une logique de l'échange dans toutes les formes de don. Autrefois, les actes de charité permettaient de « s'acheter » une place au paradis. Aujourd'hui, le don pour les organismes humanitaires (aider les pays sous-développés, les pauvres, etc.) est un moyen de se donner bonne conscience. Des parents donnent de l'argent à leurs enfants quand ils ont bien travaillé à l'école. Certains de ces parents affirment que le père Nöel ne viendra pas s'ils ne sont pas sage. Mais aussi, le don est une manière de cultiver son image de personne généreuse.
Pas de don sans contre-don disent les anthropologues.

Le don en tant qu'acte social

Dans une relation marchande, le vendeur et l'acheteur ne se soucient pas des intentions de l'un et de l'autre. A l'inverse, le don, avec son idée de réciprocité, maintient les relations sociales. Le don créé une relation privilégiée entre deux personnes. Pour Mauss, le don fait donc partie de l'échange mais est opposé à l'esprit de commerce.

Mauss s'est intéressé au don dans les sociétés primitives. Il a observé dans les tribus du nord-ouest de l'Amérique du Nord la pratique du « potlatch » (vocable chinois signifiant « nourrir » ou « consommer »). Elle consiste en une obligation de donner et de rendre. Les deux partis surenchérissent dans les offrandes afin d'établir une hiérarchie: le dominant sera celui qui donnera le plus. Mais dans le « potlatch » on ne s'échange pas que des biens matériels, on s'échange aussi « des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes » (Mauss). Ce constat amène à définir aussi le don comme une prestation sociale. Si le don est une forme d'échange, il ne se réduit donc pas à sa stricte dimension économique.



L'échange est une nécessité pour l'Homme car aucun individu ne peut satisfaire par lui-même l'ensemble de ses besoins. Il est aussi un moyen de maintien du tissu social et incline à la paix. Cependant, l'argent, introduit au départ pour faciliter le troc, simple moyen au service d'une fin, est devenu de nos jours une fin en soi.
Quant au don, il n'y a pas à l'opposer à l'échange. Le don rentre dans le cadre de l'échange, même lorsque sa réciprocité (le contre-don) n'est pas assurée. En revanche, le don n'est pas à assimiler au commerce, car il est aussi un acte social.

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