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L'Histoire a-t'elle un sens ?

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Modifié : 23/04/2010 à 18h31

C'est au cours des XVIIème et XVIIIème siècles qu'est apparue la notion de progrès de l'espèce humaine, alors portée par les sciences et la technique. Les intellectuels se sont alors beaucoup enthousiasmés pour cette idée. La conception de l'Histoire qui dominait jusqu'alors (une lente et irréversible décadence) va être balayée par l'idée de la perfectibilité de l'Homme. La nouveauté va remplacer la tradition, l'avènement l'apocalypse.
Dans ce document sont exposées trois grandes philosophies de l'Histoire (Bossuet, Hegel, Marx) et les arguments que l'on peut opposer à l'idée d'un devenir orienté.


Les philosophies du sens de l'Histoire

La réalisation du Salut de l'Homme

Pour l'homme d'Eglise français Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704), Dieu est le véritable maître de l'Histoire et guide son cours par sa Providence. Il n'est pas seulement créateur du monde, mais en est l'acteur principal. Cette idée était déjà présente chez les théologiens chrétiens médiévaux mais sera développée par Bossuet.
L'Histoire est conçue comme la réalisation du Salut de l'Homme. Bossuet distingue trois étapes: en premier lieu l'alliance établie entre le peuple hébreu et Dieu en vue de la préparation de l'Incarnation; en second lieu l'arrivée du Christ qui rend Dieu présent à l'Homme; en dernier lieu l'organisation de l'Eglise qui donne sa raison d'être à l'humanité. Bossuet s'efforce de montrer que le miracle jalonne l'histoire humaine: Dieu tout au long de l'Histoire aurait donné des « gages » de sa présence par des manifestations surnaturelles. Dom Guéranger (1805-1875), qui se place dans la droite ligne de Bossuet, écrit que « l’histoire est le grand théâtre où se produit le surnaturel ».
Les philosophes des Lumières critiqueront vivement l'idée d'une intervention de Dieu dans les affaires des Hommes en le cantonnant au rôle de Grand Architecte de l'Univers.

La manifestation progressive de la Raison

Friedrich Hegel (1770-1831) est un idéaliste dans le sens où il considère que ce sont les Idées qui mènent le monde (on parle d'« idéalisme historique »). Le principal obstacle à l'idée d'un sens de l'Histoire est la présence, tout au long de son cours, d'accès de violence. Hegel en a conscience, et il écrit qu'« il est déprimant de savoir que tant de splendeur et de vitalité a dû périr et que nous marchons au milieu de ruines. » (Leçons sur la philosophie de l'histoire). Le progrès de l'Histoire pour Hegel ne serait pas linéaire mais dialectique, c'est-à-dire qu'il se réaliserait par ses contraires: guerres, révolutions, passions destructrices,... Hegel fait de la déraison un aiguillon nécessaire au progrès de l'espèce humaine. Il compare ainsi l'Histoire à une taupe (image reprise à Hamlet dans la pièce de Shakespeare): l'Esprit chemine souterrainement à la manière d'une taupe malgré l'apparent chaos des événements. Le sens global de l'Histoire pour Hegel est la liberté universelle.

La libération progressive de l'humanité

Karl Marx (1818-1883) voit dans l'économie le moteur de l'Histoire. Il critique l'idéalisme philosophique hégélien et considère comme inutile l'idée d'une Providence qui guiderait le cours de l'Histoire. L'Histoire se fait par des conflits sociaux, plus précisément entre ceux qui possèdent les richesses et les moyens de production et ceux qui n'ont que leur force de travail à vendre. Marx appelle ce conflit « la lutte des classes ».
Cinq phases sont distinguées dans l'histoire de l'humanité:

  1. Le communisme primitif (la propriété privée n'existe pas encore).
  2. L'esclavagisme.
  3. Le féodalisme.
  4. Le capitalisme.
  5. Le communisme (la propriété privée des moyens de production n'existe plus).


L'esclavagisme opposait les maîtres aux esclaves, le féodalisme les seigneurs aux serfs. De même, le capitalisme oppose les patrons au prolétariat. Tout comme la Révolution française a vu le triomphe de la bourgeoisie face à la noblesse, une action révolutionnaire devrait voir les prolétaires, qui représentent l'immense majorité de la population, abattre une petite frange de capitalistes. Marx pense le communisme comme la fin de l'Histoire, un âge où les classes sociales ont disparu et les moyens de production sont mis en commun dans le cadre d'une coopération libre.


Les négations du devenir orienté

L'existence d'un cycle

Montrer que l'Histoire est un éternel recommencement est une manière de nier son orientation. Si le temps est une roue qui tourne, on stationne dans un éternel présent qui est aussi un éternel passé et un éternel futur.
Le philosophe italien Giambattista Vico (1668-1744) voit ainsi dans l'Histoire une série de trois phases allant de la barbarie à la civilisation pour retourner à la barbarie:

  1. L'âge des dieux est une phase marquée par la prépondérance de la religion et l'apparition des premières grandes institutions.
  2. L'âge des héros où l'ère où règne la force, le peuple y est dominé par une petite frange de nobles.
  3. L'âge des hommes est l'époque de l'insurrection du peuple qui, suivant ses intérêts, conquiert la liberté et l'égalité, processus qui marque cependant le début de l'éclatement de la société.


Ces trois âges correspondent à trois types de pouvoir politique, respectivement théocratique, aristocratique et démocratique.

La prédominance du hasard

Une autre façon de nier le sens de l'Histoire est d'y souligner le rôle prédominant du hasard. Blaise Pascal (1623-1662) en écrivant « Le nez de Cléopâtre : s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé » entend montrer que des causes infimes peuvent avoir d'incalculables conséquences. En effet, en raison de son long nez (un nez court était un signe de laideur à l'époque), Cléopâtre fut aimé successivement par Jules César et Marc Antoine. L'empire romain aurait connu un destin différent si la reine n'avait pas charmé ces deux personnages.
En physique, on appelle chaos un système dont les conditions initiales sont si sensibles qu'il est impossible de prévoir son état futur (ce phénomène est plus connu après du public sous le nom d'« effet papillon »). Il est possible de concevoir la société humaine, avec ses milliards d'individus, comme un système chaotique.

L'absurdité de l'Histoire

L'Histoire peut être vue comme l'existence humaine telle que la décrit Shakespeare dans la tragédie MacBeth (acte V, scène 4): c'est une « histoire contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien ». Cette position est notamment proche de celle de Schopenhauer (1788-1860) qui niait l'idée d'un devenir historique: « Celui qui a lu Hérodote a étudié assez l'histoire pour en faire la philosophie; car il y trouve déjà tout ce qui constitue l'histoire postérieure du monde: agitations, actions, souffrances » (Le monde comme volonté et comme représentation). L'omniprésence de la souffrance et de la destruction rend l'Histoire décourageante et peut lui donner son caractère absurde.



En ce début de troisième millénaire, on voit réapparaître les inquiétudes de la fin des temps (réchauffement planétaire, éventuelle guerre nucléaire ou bactériologique, etc.). On trouve beaucoup d'intellectuels pour parier sur une auto-destruction de l'humanité et la littérature est florissante sur le sujet. Quel serait le but de l'Histoire si l'Homme disparaissait subitement de la surface de la Terre ? Beaucoup d'individus ont ainsi perdu toute foi en l'idée d'un sens de l'Histoire.

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