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Dès les débuts de la philosophie, l'Homme a été défini en tant qu' « animal parlant » (Aristote). Cependant, la philosophie du langage ne prend tout son sens qu'à partir du moment où l'on reconnaît que le langage n'est pas seulement un moyen commode pour échanger des informations. Il permet de nommer les choses et de construire des récits (réels ou imaginaires) et par là constitue le socle même de la culture. C'est ainsi que Lévi-Strauss voit en le langage articulé la ligne de démarcation entre la nature et la culture.
Communication animale et origine du langage
Communication animale, langage humain
René Descartes (1596-1650), dans son Discours de la méthode, exclut fermement la possibilité que les bêtes aient accès au langage, celui-ci étant considéré comme un moyen d'expression de la conscience: « c'est une chose bien remarquable qu'il n'y ait point d'hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés, qu'ils ne soient capables d'arranger ensemble diverses paroles, et d'en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées ». « Il n'y a point d'autre animal » qui fasse de même.
Certes, on peut dresser un perroquet à dire « bonjour » à l'arrivée de son propriétaire. Néanmoins, ce ne sera pas pour saluer l'arrivant mais parce que l'on aura habitué le perroquet à dire « bonjour » en lui offrant quelques friandises. Le « bonjour » n'est ici donc qu'un réflexe conditionné qui n'exprime que l'espoir de manger bientôt.
On peut toutefois observer des modes de communication complexes chez les animaux grégaires: ainsi en est-il des abeilles (travaux de Karl von Frisch). De retour à la ruche, une abeille qui effectue devant ses congénères une danse en cercle signale par ce moyen que de la nourriture se trouve à une faible distance. Il s'agit d'une danse en huit accompagnée d'un frétillement continu de l'abdomen. La distance à laquelle on doit chercher est indiquée par la rapidité de la danse (plus elle est lente, plus la nourriture est lointaine), la direction dans laquelle s'envoler est exprimée par l'axe du huit (l'angle que le lieu de découverte forme avec le soleil). Toutefois, aussi étonnant soit ce moyen de communication, plusieurs points (relevés par Benveniste) interdisent de le considérer comme un langage:
L'origine du langage
Platon (428/427-347/346 av. J.C.) dans le Cratyle, a donné trois hypothèses pour expliquer l'apparition du langage: la nature, le hasard, la convention. Remarquons que la thèse conventionnaliste du langage est impossible : comment expliquer que des individus sans moyen de communication aient pu passer ensemble un contrat ? Si les hommes, à l'origine, se sont mis d'accord sur le sens des mots, cela suppose qu'ils communiquaient déjà entre eux et donc possédaient un langage commun.
La phylogénétique nous a apprit qu'à la différence des australopithèques, Homo habilis parlait (présence des aires du langage dans le crâne). Il faut parler pour pouvoir transmettre des techniques, or Homo habilis fut le premier à utiliser des outils. Ainsi, l'émergence du langage semble avoir été la conséquence d'une dialectique entre les contraintes du milieu et les données génétiques.
Les mots, les choses, la pensée
Les mots et la pensée
L'existence même des métaphores, des euphémismes, des litotes, suffit à réfuter l'idée d'une adéquation parfaite entre la pensée et le langage. De même, les affirmations implicites donnent la possibilité de dire des choses sans vraiment les dire, d'en refuser la responsabilité.
Le mot « accusation » n'existe que pour le langage, au niveau de la pensée il n'y a que des « soupçons ». Il n'y aurait pas de confidences sans le langage mais non plus sans la pensée. Il en est de même pour le secret (en tant que savoir inaccessible), car sans langage, la notion de secret n'aurait plus aucun sens... C'est pourquoi ni la nature ni les animaux n'ont pas de secrets.
Un problème persiste cependant dans la relation entre le langage et la pensée: la pensée engendre t'elle le langage ou le langage engendre t'il la pensée ? Existe t'il un langage de la pensée dont la langue serait la traduction ? Si la pensée est indépendante du langage comment s'exprime t'elle : peut-on la concevoir autrement que comme un langage ? Ainsi, Jerry Fodor pense que les représentations mentales possèdent une structure linguistique. Les psychologues ont nommé mentalais cet hypothétique langage de la pensée. Au contraire, des philosophes tels Henri Bergson ou William James pensent que la vraie pensée échappe à l'expression langagière, qui n'est qu'une dégradation de la pensée : la pensée est continue, le langage discontinu.
Les mots et les choses
- Les Mégariques
Les sophistes grecs (les Mégariques) ont développé toute une série de « jeux de mots », appelés sophismes, qui s'apparentent parfois à nos plaisanteries modernes. Les sophismes, tout comme les mensonges, prennent l'apparence de la vérité. Ils prennent ainsi parfois la forme du syllogisme ("Tout les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel.") pour volontairement tromper ou embarrasser l'interlocuteur:
« Tout ce qui est rare est cher.
Or un cheval bon marché est rare.
Donc un cheval bon marché est cher. »
Dans cet exemple, l'erreur vient de la majeure qui est fausse. Par habitude, nous avons associé le fait que quelque chose soit rare au fait qu'il soit cher et ainsi, on accepte cette proposition sans la mettre en doute.
Le sophisme peut aussi provenir d'un changement discret de point de vue. Voici un sophisme d'Eubulide de Milet:
« Tu possèdes un chien qui a des petits. Ce chien est donc père. Tu as donc un père dont les petits sont des chiens, tu es donc toi-même un frère de chien, tu es donc un chien. »
Au-delà de ces apparents jeux de mots, les Mégariques insistèrent sur la discordance qui existe entre le langage et le réel. Aucune relation vraie n'est possible en dehors de la simple tautologie: l'être est. Sorti de cette proposition, nous tombons dans l'incohérence.
- Wittgenstein et la philosophie analytique
Au XXème siècle, Ludwig Wittgenstein (1889-1951) et ses continuateurs à l'université d'Oxford affirmaient que si les problèmes métaphysiques classiques (Dieu, l'âme, le libre-arbitre, etc.) n'avaient pas été résolus, c'est parce qu'ils avaient été mal formulés. Ces philosophes se sont donnés pour but de dénouer les "noeuds linguistiques" et de rendre plus claires des formulations métaphysiques qui prêtaient à confusion.
Ils ont ainsi évacué le problème de Descartes qui prétendait que les hommes sont dotés d'une double-nature: l'esprit et le corps. Les métaphysiciens dualistes ont réfléchi durant des siècles sur ce que pouvait bien être cet esprit. Un des disciples de Wittgenstein à Oxford, Gilbert Ryle, déclara la question mal posée: « L'esprit n'est pas telle ou telle sorte de chose, parce que ce n'est pas une chose du tout. Il n'est que d'examiner de plus près la manière dont nous parlons des prétendus événements mentaux pour nous rendre compte que nos mots ne sont qu'une façon codifiée de décrire un comportement. Nous ne perdrons rien si nous nous débarrassons du mot qui nous sert à désigner le 'lieu' dont notre comportement est censé venir. »
Le but du philosophe n'est ainsi pas de changer le monde, mais plutôt d'en reformuler les structures langagières. Wittgenstein rêvait à une correspondance parfaite entre les mots et les faits pour échapper aux « filets » du langage.
Agir par les mots
Les affirmations "Mon chien est un caniche", "Georges Pompidou a été un président français" ou "Ce livre compte 512 pages", ne sont pas du même type que les affirmations "Je vous marie", "Je t'offre ce cadeau" ou "Viens par là !". Dans le premier cas, je ne fait qu'énoncer une constatation (énoncés constatifs); dans le second, je ne me contente pas de dire ce qui est mais j'agis sur le monde. John Langshaw Austin (1911-1960), dans son ouvrage Quand dire c'est faire, appelle performatifs les énoncés qui sont des modes d'action sur le réel.
L'acte de la Création dans la Genèse était la parole (« Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut. » I.3). On parle de rencontres entre chefs d'Etat, de discussions diplomatiques, d'accords, de traités, de déclaration de guerre. Il n'y a pas de pouvoir sans langage. Les mots peuvent ainsi agir sur le monde.
La finalité du langage
Un instrument de communication
L'une des manières les plus courantes de caractériser le langage humain est de le définir comme un « instrument de communication » qui permet un échange d'informations entre individus. Langage et société sont effectivement liés. Les animaux grégaires possèdent eux aussi leur système de communication. Il ne faut pas cependant réduire la communication à un simple échange d'informations (dans le cas de l'Homme), car elle est aussi un moyen d'entretenir des relations humaines (ce que l'on appelle la fonction phatique). Cette dernière fonction prédomine dans les conversations (« la pluie et le beau temps ») et les bavardages (amis d'école). Mais généralement, les deux fonctions sont imbriquées. Quand nous dialoguons avec quelqu'un, nous n'échangeons pas seulement des idées mais une présence, une relation affective. La discussion nourrit ainsi à la fois l'intellect et le coeur.
Un instrument de domination
Le langage peut être détourné de sa simple fonction de communication comme moyen de séduction, de manipulation ou de pression. La rhétoriqu est ainsi l'art de bien communiquer afin de persuader l'interlocuteur par l'éloquence. Il ne s'agit pas seulement d'exposer des arguments mais d'utiliser la « magie des mots » pour arriver à ses fins. Platon oppose ainsi dans ses dialogues Gorgias, homme d'éloquence, et Socrate, homme qui parle peu mais qui assène questions après questions. Le premier cultive l'art de parler, le second l'art de penser. Le premier cherche à persuader, le second à convaincre.
L'art de bien communiquer est, de nos jours, surexploité par la publicité, les journalistes, les conseillers en communication, les commerciaux. Ainsi, les « images chocs » à la télévision dispensent le téléspectateur de penser. Dans le marketing existe une maxime: « un bon vendeur vendrait n'importe quoi ! »: une voiture, un dictionnaire, un parapluie, un piano, une lessive, et ainsi de suite. Cependant, il ne faut pas pour autant tomber dans une certaine paranoïa à l'égard de tout beau discours: la vérité n'exclut pas l'élégance de l'expression.
Un instrument pour la poésie
Si la « magie des mots » peut servir en tant qu'instrument de manipulation (vendre des produits, conquérir un électorat,...), elle peut aussi être mise au service de l'esthétique. Le langage permet d'exprimer, de faire partager le sentiment de la beauté, du divin, ou d'appeler l'imaginaire. Il peut être poétique. Le linguiste Roman Jakobson (1896-1982) a cru discerner la spécificité de l'usage poétique du langage (ce qu'il appelle poéticité), marqué par la musicalité de la langue : ce serait avant tout un travail sur le signifiant: « la poéticité se manifeste en ceci, que le mot est ressenti comme mot et non comme substitut de l'objet nommé » (Huit questions de poétique).
On peut même se demander si le langage figuré ne fut pas chronologiquement premier par rapport au sens propre des mots, ainsi que l'affirme Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) dans son Essai sur l'origine des langues où est suggéré que le langage nous fut dicté d'abord par nos passions.
Le langage se limite t'il donc à la communication ? S'il commence dans la communication, sa fin n'est pas d'être uniquement un outil de communication. Socle de la culture par sa capacité à construire des récits, socle même de la pensée pour certains philosophes, instrument de domination et de poésie, il est loin d'être réductible à la simple communication telle que l'on peut l'observer chez les animaux grégaires.
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